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Quand Grégory Granados débute sa résidence au Creux de l’Enfer, il est convenu qu’il
coréalise une pièce avec différents acteurs du territoire.

L’attention du jeune designer
stéphanois, lauréat du grand prix de Design Parade Hyères en 2019, se focalise sur les
entreprises du bassin thiernois spécialisées dans les domaines de la coutellerie et
des métiers qui en découlent comme la forge par estampage, et le travail des matières
plastiques et organiques, parfois rares. Parcourant les entreprises, il découvre par
ailleurs un écosystème économique fait d’interdépendances et de complémentarités
dont la production d’objets répond aux exigences et aux spécificités de la coutellerie.
Séduit par la richesse de ce réseau de production, il choisit de travailler auprès de cinq
entreprises volontaires.
Son principe est simple et témoigne d’une grande humilité.
Plutôt que de travailler ex nihilo à la création de nouvelles pièces s’ajoutant à l’infini des
productions existantes, il préfère composer à partir d’éléments qu’il trouve autour de
lui. C’est donc lors de rencontres et d’échanges sur la nature des métiers qui l’entourent
qu’il ramasse des pièces industrielles de toutes natures. Rassemblant ses fragments comme
autant de « gisements » sur sa table de composition, l’artiste les manipule, les observe
et recueille une impression générale guidée par les formes, les matières, les surfaces.
Les premières récoltes constituées de platines, ressorts, tire-bouchons, décapsuleurs et
manches en acier sont pointues et anguleuses. Il choisit d’enrichir son corpus de formes
plus organiques et entame une seconde collecte de matières et de pièces artisanales :
poulies, mousquetons et fermoirs, manches tournés en bois…
Il entame alors un travail
de composition par démultiplication et assemblages. Cherchant les points de jonction,
les silhouettes qui se nouent naturellement ou s’imbriquent, mais aussi les points
d’équilibres, Granados détourne les usages et compose une série d’objets. La dernière
étape consiste à donner corps à chaque objet par l’adjonction d’éléments imprimés en 3D
glissés entre chaque pièce du puzzle, à la manière d’un cartilage indispensable à la tenue
du squelette. Témoins, c’est le titre qu’il a choisi pour nommer ces petites créatures sans usage,
étranges et mutantes desquelles échappe tout principe fonctionnel. Souvent totémiques,
elles peuvent nous révéler une figure, un caractère, se dresser sur deux ou trois pattes.

Granados aime stimuler l’oeil comme l’oreille et joue volontiers de la paréidolie qui tend
à suggérer une forme ou un son familier au sein d’une composition abstraite. Doué d’une
agilité déconcertante à naviguer entre plusieurs pratiques, Granados tour à tour designer,
danseur ou musicien prélève des enregistrements sonores sur les lieux de production.
Le tour à bois, la presse, l’ambiance mécanique de l’atelier émergent ainsi dans l’espace
d’exposition et suggèrent des environnements de travail qui se diluent sous l’effet d’un
résonateur.
Orchestrant la circulation des corps selon les principes architecturaux d’une
nef, Granados crée un ensemble de mobiliers de présentation aboutissant sur une table
en arc de cercle positionnée dans l’axe de symétrie de la salle. Les objets organisés
régulièrement sur les tables sont interrompus par des plateaux de fragments qui révèlent
des qualités techniques et formelles insoupçonnées. Tandis que son travail d’invention
se poursuit à l’aide d’outils numériques et suggère d’infinies variantes sur deux écrans
verticaux.

Concevant le design par une ouverture aux métiers, sur des principes non hiérarchiques,
de pluralité et de complémentarité, Grégory Granados n’impose pas un vocabulaire. Guidé
par la curiosité des savoir-faire et des techniques, mais aussi par les hommes et les
femmes qui les pratiquent, il s’emploie à articuler de multiples langages existants.
Ainsi s’établissent de nombreuses résonances entre les mondes de l’art, de l’artisanat,
de l’industrie jusqu’aux propositions virtuelles qui ouvrent le répertoire illimité des
possibles.

Sophie Auger-Grappin
Directrice du Creux de l’Enfer
Centre d’art contemporain d’intérêt national (Thiers)

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